Easyvisuals, un regard sur Haïti à travers “MELANIN”

Written on 08/19/2025
LA RÉDACTION

Depuis mai dernier, un projet intitulé “MELANIN” circule sur les réseaux sociaux et attire l’attention. Conçue comme une série photographique et éducative, l’initiative met en avant la peau noire et se présente comme un plaidoyer pour la fierté en Haïti. Derrière cette œuvre se trouve Gagne Ismaël, plus connu sous le nom d’artiste Easyvisuals. Photographe et vidéaste originaire de Delmas, il développe une démarche visuelle centrée sur l’identité et la mémoire. Entre les rues de Port-au-Prince, des portraits et une quête identitaire, son parcours traduit une volonté de faire de l’image un langage pour interroger la dignité et l’histoire de son peuple.

“MELANIN” occupe une place centrale dans sa démarche. Pensée comme une série photographique et éducative, elle valorise la couleur de peau noire et s’oppose à la dépigmentation volontaire, un phénomène répandu en Haïti. Destinée avant tout aux enfants et aux jeunes adultes, la série est relayée sur les réseaux sociaux – TikTok, Instagram et Facebook – avec la diffusion de témoignages et de créations. L’objectif est de réorienter les mentalités, de sensibiliser et de mobiliser les jeunes autour de l’importance et de la valorisation des spécificités épidermiques.

Dans ce contexte, Easyvisuals insiste sur la nécessité de reconnaître et d’assumer son identité. « Le message est simple mais puissant : la mélanine est une richesse, pas un défaut. Trop souvent, la peau noire a été stigmatisée. Avec ce projet, je veux inverser le regard et montrer que notre couleur est une force, une identité, une beauté unique », explique-t-il.

Chaque image repose sur des modèles non professionnels, photographiés à la lumière naturelle afin de mettre en valeur leurs traits. Le processus se veut organique pour préserver l’authenticité. Toutefois, le projet a rencontré plusieurs difficultés, parmi lesquelles convaincre des personnes peu confiantes dans leur image et affronter les contraintes sécuritaires des déplacements à Port-au-Prince. Malgré cela, le photographe entend poursuivre son objectif : exposer prochainement la série et la rendre accessible en ligne. Au-delà de l’esthétique, “MELANIN porte une ambition éducative et identitaire. « Je souhaite que chaque personne noire puisse se dire : mwen bèl jan m ye a, koule’m se idantite’m », ajoute-t-il.

Un parcours façonné par l’image

Né et grandi à Delmas, en Haïti, « un pays où chaque rue, chaque visage et chaque couleur raconte une histoire », Easyvisuals confie avoir d’abord hésité entre le droit et la psychologie avant de découvrir que son véritable langage se trouvait dans l’image. « Au départ, je ne savais pas encore que ce serait ma voie, mais avec le temps, j’ai compris que l’image était mon langage, ma manière de partager la beauté et la vérité qui nous entourent », explique-t-il.

La photographie est entrée dans sa vie par le cinéma et les plateformes numériques. Influencé par YouTube, les films hollywoodiens et son intérêt pour l’acting, il a commencé avec de petites vidéos et des clichés réalisés lors des cultes de son église. Rapidement, il transpose cet apprentissage autodidacte dans la rue, qu’il considère comme son terrain d’inspiration privilégié. C’est là qu’il développe le concept Pye Poudre, une série informelle traduisant sa fascination pour la vie urbaine dans sa spontanéité. « Mes premières expériences étaient très simples mais surtout marquées par les rues de Port-au-Prince, mon coup de cœur. Rien de sophistiqué, mais j’aimais déjà chercher l’émotion derrière un regard ou un détail. Avec le temps, je me suis formé, j’ai expérimenté, et j’ai commencé à construire une identité visuelle plus marquée », précise-t-il.

Une esthétique enracinée dans l’authenticité

L’univers d’Easyvisuals se nourrit de deux sources majeures : le cinéma international et la culture haïtienne. Il puise son inspiration dans les textures des marchés, les couleurs des murs, les gestes quotidiens, mais aussi dans la représentation de la peau noire sous toutes ses formes. « Je m’inspire beaucoup du cinéma hollywoodien et de la culture haïtienne, de la beauté noire dans toutes ses formes, des rues de Port-au-Prince, allant des milieux défavorisés au milieu pittoresque. Je me trouve à mon aise avec la lumière naturelle, les textures, les couleurs des marchés, des murs, des vêtements traditionnels… tout cela nourrit ma créativité », confie-t-il.

Il cite parmi ses références certains photographes haïtiens qui travaillent sur l’identité culturelle, mais également des figures internationales spécialisées dans le portrait et la diversité. « Oui, certains photographes haïtiens m’ont beaucoup inspiré et aidé, surtout par leur manière de valoriser notre culture et notre identité. Mais je m’inspire aussi de photographes internationaux qui travaillent sur le portrait et la mise en avant de la diversité. Je prends un peu de chacun, mais j’essaie surtout de trouver ma propre voix », dit-il.

Son style repose sur la sincérité et le refus de l’artifice. Pas de studios ni de décors sophistiqués, mais une volonté constante de « capturer la force et la douceur dans un même portrait ». Chaque cliché vise à traduire une émotion brute, en révélant la dignité de ses modèles, qu’il s’agisse d’amis, de passants ou de personnes peu habituées à poser.

Perspectives et engagement artistique

L’avenir d’Easyvisuals se dessine à la croisée de plusieurs disciplines. Passionné de cinéma, il souhaite se lancer sérieusement dans l’acting et la production de films, tout en poursuivant ses projets photographiques. Il envisage d’exposer en Haïti et à l’étranger, et de collaborer avec des marques qui valorisent la diversité. Une autre de ses ambitions est de transmettre son expérience à de jeunes photographes haïtiens afin de multiplier les voix visuelles capables de raconter le pays.

Sa philosophie se résume en une formule : « Tout est une histoire, rakonte’l ! » Cette volonté de narration traverse son travail, où chaque visage et chaque décor devient une matière à récit.

En parallèle à la photographie, il s’investit également dans la vidéo, le jeu d’acteur et la musique, autant de pratiques qui nourrissent son regard et enrichissent son univers créatif. À travers ce parcours, Easyvisuals construit une démarche qui va au-delà de l’esthétique pour toucher à l’éducation, à la mémoire et à l’identité. Son travail rappelle que l’image peut être à la fois un miroir et un outil de transmission et de réappropriation culturelle.

Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve© Chokarella