En cette Journée mondiale de la santé mentale, célébrée ce vendredi 10 octobre 2025 sous le thème « Accès aux services – Santé mentale lors de catastrophes et d’urgences », la psychologue clinicienne haïtienne Rhode Bermine Banatte tire la sonnette d’alarme sur l’épuisement émotionnel d’une population confrontée à des crises multiples. Dans un contexte d’insécurité, de catastrophes naturelles et de difficultés d’accès aux soins, elle appelle à reconnaître la santé mentale comme une priorité nationale et un enjeu collectif.
Créée en 1992 par la Fédération mondiale pour la santé mentale (World Federation for Mental Health, WFMH), cette journée vise à sensibiliser sur l’importance de la santé mentale, à réduire la stigmatisation liée aux troubles psychiques et à promouvoir le bien-être émotionnel à l’échelle mondiale. Aujourd’hui célébrée dans plus de 150 pays, elle met en lumière les inégalités d’accès aux soins, qui persistent malgré les efforts des États et des organisations internationales.
La santé mentale est un enjeu collectif, car elle est un pilier de la cohésion sociale. Une population en souffrance n’est pas seulement une somme d’individus malades, c’est une société dont la productivité, la solidarité et la capacité à se projeter sont compromises. Les traumatismes de masse, la violence et la crise exigent une réponse collective et structurelle, et non uniquement des solutions individuelles.
En Haïti, où les catastrophes naturelles, l’instabilité politique et la violence urbaine pèsent lourdement sur le quotidien, la santé mentale devient un enjeu de survie. C’est ce que souligne, dans une entrevue accordée à Chokarella, la psychologue clinicienne Dr Rhode Bermine Banatte, fondatrice de “Sikoloji An Kreyòl” et en maîtrise de psychologie familiale. Selon elle, la détresse psychologique des Haïtiens est profondément liée à leur environnement : « Les difficultés sont multiples et profondes, incluant les traumatismes cumulés et complexes. Les Haïtiens vivent une insécurité quasi permanente, la violence des gangs, les déplacements forcés et les conséquences des catastrophes naturelles, ce qui crée un état de stress post-traumatique complexe. À cela s’ajoutent les barrières d’accès aux soins : le manque criant de services de santé mentale accessibles et subventionnés force la majorité des gens à gérer seuls leurs souffrances psychiques extrêmes. »
Ainsi, dans un contexte où la survie quotidienne repose sur la résilience collective, la santé mentale ne peut plus être perçue comme un luxe. Dr Banatte estime que « dans ces contextes, prendre soin de soi n’est pas un luxe, mais une stratégie de survie. C’est l’investissement minimal pour conserver l’énergie physique et psychique nécessaire pour continuer la lutte quotidienne. Sans soin psychologique, l’effondrement devient inévitable, compromettant même la capacité à assurer la survie matérielle. »
Cependant, elle met en garde contre une forme de résilience qui masque une fatigue profonde : « Se relever sans jamais avoir le temps de guérir mène à un état de fatigue psychologique et émotionnelle chronique. Derrière la dignité de cette résilience, il y a aussi une immense lassitude qui doit être reconnue et transformée en véritable guérison. »
La psychologue rappelle que le bien-être psychique dépasse la seule dimension individuelle. Inspirée par la théorie des systèmes de Salvador Minuchin, elle affirme que « les individus sont tous interconnectés ; lorsque l’un est en difficulté, tout le système familial, professionnel ou communautaire est affecté. » Selon elle, « la santé mentale est un enjeu collectif, car elle est un pilier de la cohésion sociale. Une population en souffrance n’est pas seulement une somme d’individus malades, c’est une société dont la productivité, la solidarité et la capacité à se projeter sont compromises. Les traumatismes de masse, la violence et la crise exigent une réponse collective et structurelle, et non uniquement des solutions individuelles. »
Face à cette réalité, Dr Banatte propose de revenir à des pratiques de base qui favorisent l’équilibre global. Elle recommande notamment de suivre les principes du modèle NEW START, qui repose sur huit piliers : air pur, lumière, tempérance, repos, exercice physique, nutrition, eau et spiritualité.
« Ces éléments forment un cercle vertueux entre le corps et l’esprit. Le repos répare, la spiritualité ancre et donne du sens, la parole libère et normalise la douleur, et la solidarité montre que nous ne sommes pas seuls », précise-t-elle.
En outre, elle insiste sur la nécessité d’impliquer les jeunes générations dans cette dynamique. Selon elle, « l’approche doit être similaire à celle de la santé physique : il n’y a pas de santé sans santé mentale. Intégrer la littératie en santé mentale dans les écoles, modéliser le comportement des adultes et rendre les services accessibles et sans jugement sont essentiels pour faire de la santé mentale une conversation ouverte et normale. »
Enfin, Dr Banatte appelle à un engagement à la fois personnel et institutionnel. « Le premier pas est l’introspection. C’est reconnaître sa souffrance, accepter ses limites et s’accorder de la compassion au lieu de la critique. Dire : “Je vois que je souffre, je mérite un instant pour moi”, constitue le refus intérieur d’accepter l’effondrement comme fatalité. »
À l’occasion de cette Journée mondiale, elle adresse un double message : « Individuellement, faites de votre bien-être votre premier acte de résistance. Collectivement et politiquement, face aux crises qui frappent le pays, la santé mentale doit être intégrée dans tous les plans d’aide humanitaire et de développement. Investir dans des services accessibles à tous est vital pour reconstruire l’avenir de la nation. »
Par Ann-Olguetty Loodjenny Dieuve© Chokarella