Quand elle évoque son enfance en Guadeloupe, Valérie Gassien parle d’un ancrage profond. Née aux Abymes et ayant grandi à Sainte-Anne, en Grande-Terre, elle dit avoir grandi au rythme d’une culture riche, d’une vie familiale dense et d’une mémoire historique omniprésente. « Grandir en Guadeloupe a été pour moi une véritable bénédiction », confie-t-elle. De cette terre caribéenne, elle garde un regard façonné à la fois par ses racines et par l’ouverture au monde, un regard qu’elle transpose aujourd’hui dans sa pratique artistique.
Son premier contact avec la photographie ne vient pas d’une formation académique, mais d’une expérience intime : celui de voir sa mère immortaliser des orchidées et des moments de famille. « C’est à travers son regard que j’ai découvert le pouvoir des images à garder vivants les instants précieux », raconte-t-elle. Cette empreinte maternelle, discrète mais persistante, a nourri son propre rapport à l’image.
Avant de faire de la photographie son métier, Valérie a travaillé près de dix ans dans les Ressources humaines. Ce parcours lui a appris l’écoute et le sens des relations humaines, mais elle finit par sentir qu’un cycle se fermait. « J’avais besoin d’être plus alignée avec mes valeurs personnelles et de donner un sens profond à ce que je fais. La photographie s’est imposée comme une évidence. »
Entre réel et imaginaire
Dans ses images, Valérie cherche à naviguer entre deux univers : documenter la vie telle qu’elle est et ouvrir un espace plus introspectif, proche de l’abstraction. « Mon univers photographique se situe entre le réel et l’imaginaire », explique-t-elle. Pour elle, un portrait ou une scène de vie ne sont pas de simples représentations : « Ce que je cherche à capter avant tout, c’est l’authenticité. »
Ce mot, qu’elle répète, structure toute sa démarche. Être authentique, c’est saisir « un moment vrai, une émotion qui n’est pas fabriquée », qu’elle soit fragile ou intense. Dans un portrait, elle veut révéler « quelque chose de l’âme », dans un instant collectif, elle cherche à fixer une énergie qui ne reviendra pas.
Ses références artistiques sont variées. Elle cite Annie Leibovitz, Tyler Mitchell et Danny Clinch, mais aussi la danse et la musique, qui lui offrent un rapport direct à l’émotion. Elle dit également trouver une source d’inspiration dans le mouvement pictorialiste, qui a tenté de donner à la photographie une dimension poétique.
Même installée à Montréal depuis 2019, la Guadeloupe continue d’habiter son travail. « Elle m’a transmis le goût de la lumière et de la mémoire collective », précise-t-elle. Ce lien s’exprime dans ses portraits de la communauté afro-descendante, où elle tente de mettre en valeur des histoires et des visages qui prolongent ses racines caribéennes.
Montréal, pour sa part, a représenté un tournant. « C’est ici que j’ai trouvé le tremplin pour affirmer mon identité artistique », explique-t-elle. La ville, avec sa diversité culturelle, a été l’espace où elle a décidé de se consacrer entièrement à la photographie. Pour structurer son projet, elle a suivi une formation au Centre de photographie de Verdun. « Pendant dix-huit mois, j’ai pu consolider mes compétences techniques et nourrir ma culture photographique. »
Mais le parcours d’une photographe immigrée n’est pas sans obstacles. Elle souligne la difficulté de se construire une visibilité dans un milieu culturel parfois fermé. « Il faut apprendre à identifier les portes auxquelles frapper, comprendre comment fonctionne l’écosystème artistique et se donner le temps de bâtir une crédibilité. »
Projets personnels et traductions visuelles
À travers ses projets, Valérie explore différents registres. Avec Sensorhum, elle a travaillé sur la culture du rhum agricole, en transformant l’expérience de la dégustation en séries visuelles. Ce projet lui a permis de revisiter un héritage caribéen en proposant une approche différente de l’imaginaire traditionnel associé aux spiritueux.
Avec Échos de l’âme, elle s’est inspirée de trois poèmes de Jacques Roumain pour les traduire en images abstraites. « Ce projet m’a demandé une écoute intérieure plus fine, une connexion plus intime à mes ressentis », explique-t-elle. Une manière de croiser écriture et photographie, poésie et visuel, dans une même dynamique créative.
Dans son travail, la lumière occupe une place particulière. « C’est une matière vivante qui sculpte les émotions », dit-elle. L’abstraction, elle, lui permet de dépasser le visible et de laisser au spectateur un espace d’interprétation.
La photographie dans un monde saturé d’images
Face à la multiplication des smartphones et des réseaux sociaux, Valérie Gassien s’interroge sur le rôle du photographe. « Nous vivons dans un monde de saturation de l’image, où les photos défilent mais ne s’impriment pas toujours dans nos mémoires collectives. » Dans ce contexte, elle considère que le travail d’un professionnel reste nécessaire pour donner une profondeur aux récits visuels. « La photographie est pour moi une forme de résistance à cette consommation rapide : une invitation à ralentir, regarder et ressentir pleinement. »
Elle insiste aussi sur la dimension de co-création : « Une photo n’existe jamais seule, elle naît d’une rencontre, d’un contexte, d’une énergie. » Pour elle, le rôle du photographe se situe à la frontière entre technique et sensibilité.
Regards vers l’avenir
Ses projets à venir témoignent d’un désir de tisser des liens entre ses deux territoires. Elle souhaite collaborer davantage avec la Guadeloupe, tout en développant à Montréal un projet d’exposition autour des aînés afro-descendants du Québec. En parallèle, elle travaille avec une autrice guadeloupéenne à un recueil qui mêlera textes et photographies.
Aux jeunes qui voudraient se lancer dans la photographie, elle adresse une recommandation simple : « Aborder la photographie avec un regard profondément humaniste et curieux. Être attentif à l’autre, au monde qui nous entoure, et garder à l’esprit que créer des images, c’est une responsabilité. »
Pour Valérie Gassien, la photographie est à la fois un métier et un art, un outil qui lui permet d’explorer la mémoire, de documenter des communautés et de donner une place centrale à l’émotion. Entre ses racines caribéennes et son ancrage montréalais, elle poursuit une démarche qui s’inscrit dans la continuité de son parcours personnel et artistique.
Expositions- Prix et distinctions
- Exposition ” Échos de l’âme” en hommage à Jacques Roumain- TOHU – Montréal, Février 2025
- Exposition Xposé 2024 -CAPIC – Toronto, Octobre 2024 Prix ” Best in show” pour King Léo
- Exposition collective de l’Union Française – Montréal, Avril 2023
- Prix d’excellence DEP Photographie -2022
Par Ravensley Boisrond, éditeur en chef de Chokarella